En région Grand Est, des observations sont menées dans le cadre des projets PotA-Ge et Fr-eau-Mage sur la régulation climat et eau par les arbres plantés au sein des parcelles agricoles. Les chercheurs mesurent microclimat, humidité du sol, productivité et biodiversité dans le but de démontrer aux agriculteurs l’intérêt de l’agroforesterie intra-parcellaire.
Dans le Grand Est, l’agroforesterie intra-parcellaire progresse pas à pas. En 2022, 70 parcelles recensées dans le cadre du projet PotA-Ge (2017-2023, financé par l’Ademe) présentaient des alignements d’arbres au milieu des champs. Ce développement intervient dans un contexte climatique tendu : le déficit hydrique régional augmente année après année.
Les modèles théoriques attribuent aux arbres une influence positive sur la ressource en eau et un effet rafraîchissant sur l’atmosphère locale. Pourtant, les preuves concrètes destinées aux exploitants restaient limitées, notamment dans cette région.
Un projet scientifique sur mesure
Lancé en 2021, et financé jusqu’en 2026 par l’Office français de la biodiversité, le projet Fr-eau-Mage mobilise l’unité de recherche Silva (Inrae Nancy, Université de Lorraine, AgroParisTech), le Laboratoire Agronomie-Environnement (Université de Lorraine, Inrae Colmar), le conseiller SylvaTerra et six agriculteurs du territoire. Objectif : quantifier l’effet de l’arbre intra-parcellaire sur le microclimat (température, hygrométrie) et sur la disponibilité en eau des sols.
Le réseau de parcelles étudiées reflète la diversité des pratiques locales : prairies et grandes cultures, systèmes conventionnels et biologiques, production de bois d’œuvre avec environ 30 à 40 arbres par hectare âgés de 10 à 12 ans.
Depuis 2018, les suivis couvrent productivité, propriétés physico-chimiques et biologiques des sols, composition floristique sous couvert arboré, stocks de carbone, partage de l’eau entre strate herbacée et ligneux. Les mesures s’effectuent en lien étroit avec les exploitants, grâce à un dispositif instrumenté : stations météo au pied d’arbres représentatifs et en plein champ, sondes d’humidité installées à 30 et 60 cm de profondeur. La plupart des sites a été équipée durant l’été et l’automne 2022.

Des suivis sont réalisés depuis 2022 dans des parcelles réparties sur le Grand Est afin d’évaluer l’effet de l’alignement d’arbres intra-parcellaire. © Photo INRAE
Deux années contrastées servent déjà de référence : 2023, particulièrement sèche, et 2024, plus humide. L’analyse compare systématiquement conditions au pied des arbres et en zone ouverte et cherche à relier les effets observés aux caractéristiques de chaque parcelle.
Températures tempérées, sols sous tension
Les résultats mettent en lumière une régulation nette du microclimat. Au pied des houppiers les plus étoffés, la température chute de 2 à 3 °C par rapport au champ nu et l’humidité grimpe de plus de 10 %. Les contrastes s’accentuent au printemps, lors du déploiement du feuillage, puis s’atténuent en été. En période chaude et sèche, le refroidissement et l’humidification de l’air s’avèrent plus prononcés. En hiver, les arbres jouent un rôle de tampon, avec des températures plus douces que dans les zones découvertes.
Les mesures soulignent également une réduction des amplitudes journalières : jusqu’à 3 °C de moins pour la variation thermique et 15 % de moins pour la variation d’humidité. Le houppier canalise par ailleurs les précipitations, concentrées davantage au pied de l’arbre. La taille et l’élagage influencent fortement l’ampleur de ces effets.
Concernant l’humidité du sol, les données montrent un assèchement accéléré sous les arbres, plus marqué en surface qu’en profondeur. Ce phénomène, constaté sur l’ensemble des sites, se réduit toutefois avec la croissance des houppiers. En parallèle, la diminution de la demande évaporatoire de l’air sous couvert limite la transpiration de la végétation voisine, ce qui atténue partiellement l’assèchement.
Les caractéristiques du sol (texture, densité, fertilité) et le climat local (précipitations, rayonnement) n’influencent pas significativement les variables étudiées, sans doute en raison d’une relative homogénéité entre parcelles. Les effets observés en 2023, plus intenses, se retrouvent néanmoins en 2024 malgré un contexte plus humide.
Le suivi scientifique s’achèvera en décembre 2025. La dernière phase du projet consistera à finaliser les analyses et diffuser largement les résultats.
Entre passion, paysage et anticipation du climat :L' agroforesterie attire des agriculteurs motivés par la volonté de diversifier leurs pratiques, de préserver l’environnement et de valoriser le paysage. «Ma carte de visite c’est : créer de l’oxygène et du paysage», annonce Sébastien Loriette, agriculteur dans les Ardennes. «Avant de planter, trois éléments clés sont à prendre en compte : l’objectif recherché (bois d’œuvre, biodiversité, brise-vent, production fruitière, etc.), les caractéristiques de la parcelle (orientation, type de sol, exposition) et le cadre juridique et réglementaire (statut foncier, densité autorisée, contraintes liées aux haies et plantations)», explique Dempsey Princet, technicien SylvaTerra. Ces choix déterminent la réussite technique, et la durabilité du projet. Passionné par les arbres et les paysages, Sébastien a intégré l’agroforesterie sur 10 % de son exploitation, malgré les doutes de ses collègues. Au total, ce ne sont pas moins de 700 arbres sur «sa meilleure parcelle» de 14 hectares. Les essences des arbres ont été choisies selon les objectifs et les intérêts du projet de l’agriculteur. «Les instruments de mesure ont été installés en veillant aux besoins de l’agriculteur pour ses travaux agricoles : un compromis entre les deux parties qui sont aujourd’hui ravis des résultats», souligne Nicolas Marron, chargé de recherche INRAE Silva. Au-delà de l’aspect économique, l’agroforesterie est, pour Sébastien, une démarche esthétique et environnementale, qui crée un équilibre écologique et anticipe le réchauffement climatique. La mise en œuvre reste exigeante : choix des essences adaptées, organisation de la taille, gestion des racines et compatibilité avec le travail mécanique. «L’accompagnement technique des chambres d’agriculture et l’entraide entre agriculteurs sont indispensables pour réussir», souligne l’agriculteur. Enfin, le technicien SylvaTerra indique que «les aides financières sont souvent limitées à la plantation, sans réel soutien pour l’entretien à long terme». Le cadre réglementaire peut freiner les initiatives, alors que les bénéfices (pas tous quantifiables économiquement) agronomiques et sociétaux sont nombreux : amélioration du microclimat, maintien de la biodiversité, stockage de carbone et embellissement du paysage. Pour ceux qui s’engagent, l’agroforesterie reste avant tout un projet de conviction et de passion, apportant autant au bien-être humain qu’à l’équilibre agricole. Sébastien conclut : «le bonheur n’a pas de prix et c’est plaisant de voir la société se réconcilier avec le monde agricole avec ce type de projet». |
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Plus d'informations : > Rapports, posters, vidéos et documents de vulgarisation sont déjà disponibles en libre accès sur les sites de PotA-Ge et Fr-eau-Mage. |



