La présidente de la Commission européenne a signé le 6 décembre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. La réaction de la profession agricole ne s’est pas fait attendre.
C’est tout sourire et entourée des quatre présidents brésilien (Luis Lula da Silva), argentin (Javier Milei), uruguayen (Luis Alberto Lacalle Pou) et paraguayen (Santiago Peña) qu’Ursula von der Leyen a signé, le 6 décembre à Montevideo (Uruguay) l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. « Cet accord est une victoire pour l’Europe. 30 000 petites entreprises européennes exportent déjà vers le Mercosur. L’UE-Mercosur reflète nos valeurs et notre engagement en faveur de l’action climatique. Et nos normes sanitaires et alimentaires restent intouchables (…) C’est le début d’une nouvelle histoire», a indiqué Ursula von der Leyen sur son compte X.
Conditions de production
Sur le volet agricole, cet accord de libre-échange fixe pour l’UE des quotas additionnels d’importations à droits de douane réduits dont 99 000 tonnes en viande bovine et 180 000 tonnes de viande de volailles. Ils viennent s’ajouter aux 194 000 de viande bovine et aux 324 700 tec de volailles importées en 2023. Ces importations concernent surtout des morceaux de choix, plébiscités par les consommateurs français et européens : la bavette d’aloyau et le filet de poulet. L’accord prévoit aussi la fin des droits de douanes sur 180 000 tonnes de sucre en provenance des pays du Mercosur et des concessions progressives pour l’éthanol qui permettraient l’importation de 5,7 millions d’hectolitres sans droits de douanes à utilisation exclusivement industrielle et en plus 200 000 tonnes d’éthanol à droits réduits. La France importe à elle seule près de deux milliards d’euros (Md€ - 1,92 Md€) de produits agricoles et agroalimentaires (2,6 % de ses importations agricoles) du Mercosur. Surtout les agriculteurs français dénoncent les conditions de production de ces produits qui ne répondent pas aux standards européens. Les normes de travail et de sécurité moins strictes permettent aux pays du Mercosur de produire à des coûts inférieurs, instaurant de fait une concurrence déloyale. Cependant toutes les filières agricoles ne seraient pas forcément perdantes (lire encadré)
« Coup de poignard »
La réaction des syndicats a été quasiment immédiate : « Von der Leyen trahit les agriculteurs européens », ont accusé la FNSEA et JA dans un communiqué commun. « C’est une provocation (et) un déni de démocratie alors que la quasi-unanimité de nos parlementaires français se sont exprimés contre cet accord », ajoute les deux organisations syndicales. C’est une « position qui va à l’encontre de la marche de l’Europe et de ses intérêts à long terme », a posté sur son compte X, le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau. « La communauté agricole de l'UE refuse de payer la facture », a de son côté dénoncé le Copa-Cogeca qui exprime sa « ferme opposition à cet accord dépassé et problématique ». Le syndicat européen critique sévèrement le précédent mandat d’Ursula von der Leyen d’avoir multiplié « les contraintes et les réglementations pour nos producteurs (…) aujourd'hui, au début de son second mandat, elle donne la priorité à cet accord inéquitable ». Sans surprise, la Fédération nationale bovine (FNB) est également très remontée contre cet accord, parlant de « coup de poignard de Von der Leyen ». Les éleveurs s’attendent à des « impacts désastreux ». Dominique Chargé, président de La Coopération agricole, a aussi dénoncé cette signature : « Ce n’est pas acceptable de voir le jeu de la concurrence déloyale s’amplifier », a-t-il déclaré sur France Inter, expliquant que « produire une tonne de volaille coûte 50 % moins cher au Brésil qu’en Europe, où les standards de production sont bien plus exigeants ». Quant aux interprofessions agricoles françaises elles ont dénoncé « un coup de force anti-démocratique ».
Pression de la France
Les syndicats agricoles entendent bien ne pas en rester là. « La bataille continue. Nous ne nous avouons pas vaincus ! Nous engagerons tous les moyens au niveau européen pour que cet accord ne soit pas ratifié, ni par le Conseil, ni par le Parlement européen, ni par les Parlements nationaux », ont souligné la FNSEA et JA. Le traité UE-Mercosur devra être traduit dans les langues des Vingt-Sept. Il devra aussi passer au « tamis juridique » et être ratifié par le Conseil et le Parlement européen et éventuellement par les Parlements nationaux. Cependant, si la Commission européenne décide de scinder le texte en deux parties, la ratification par les parlements des 27 États membres ne sera pas nécessaire. Pour mémoire, les premières discussions entre l’Europe et le Mercosur ont été ouvertes au milieu des années 1990 pour aboutir en 2019. Mais le processus a été suspendu en raison de la politique de déforestation du président Jair Bolsonaro et sous la pression de la France qui avait convaincu plusieurs Etats membres, dont l’Allemagne. Les négociations ont ensuite repris après la réélection de Luis Inácio Lula da Silva (dit “Lula”), fin 2022.
Le lait et le vin pourraient mieux s’en sortir Selon de nombreux experts, les secteurs laitiers et viticoles pourraient tirer profit de l’accord UE-Mercosur. Il prévoit une baisse réciproque des droits de douane sur le beurre (-30%) et les yaourts (-50%) et l’obtention dans les deux sens de quotas supplémentaires de 5000 t d’important de lait infantile et 30 000 t de fromages. Les droits de douane disparaîtraient dix ans après la signature de l’accord. D’après les calculs de Commission européenne, le secteur des vins et spiritueux pourrait tirer de substantiels bénéfices de cet accord. Il prévoir de réduire les droits de douanes de 27 % sur les vins, de 20 à 35 % sur les spiritueux, ce qui pourrait permettre de compenser en partie les pertes (programmées) de marché en Asie (voitures électriques) et aux Etats-Unis (retour de Trump à la Maison Blanche). |
Les politiques très remontés contre l’accord Nombreux sont les partis politique à s’offusquer de la signature de cet accord. Tous dénoncent (même si certains y ont participé), la chute du gouvernement Barnier qui a provoqué une brèche dans laquelle la présidente de la Commission s’est engouffrée. Et cela même si la France avec la Pologne et l’Italie se sont opposés à ce traité. La députée européenne et agricultrice, Céline Imart a dénoncé la « triple trahison d’Ursula von der Leyen vis-à-vis des agriculteurs européens, des Etats membres et des présupposés bénéfices économiques ». L’ancien Premier ministre, Gabriel Attal s’inquiète pour « nos agriculteurs (qui) risquent (…) de payer le prix de la chute du gouvernement ». Pour Marine Le Pen, Ursula von der Leyen « s’essuie les pieds sur le vote souverain des députés, impose son diktat ». La ministre (démissionnaire) du Commerce extérieur, Sophie Primas, a indiqué à l’Agence France-Presse que « la Commission prend ses responsabilités de négociatrice, mais cela n’engage qu’elle ». |