
La Cour des comptes a rendu public le 24 février, un rapport dans lequel elle juge insuffisants le déploiement de l’innovation agricole et les formations qui doivent l’accompagner. Si l’Agritech française reste encore fragile, elle dispose d’un bon potentiel et parvient à tirer son épingle du jeu.
Les agriculteurs innovent, mais le déploiement des innovations nécessaires à la transition agroécologique n’est pas atteint. La politique publique de soutien à la diffusion des innovations répond partiellement aux besoins en matière de conseil et de formation continue. Cependant la politique publique d’innovation maintient le positionnement de l’Agritech française dans la compétition internationale. Tel est en résumé le sentiment global que les magistrats de la Cour des comptes donnent de l’innovation en agriculture qu’ils estiment « essentielle à la transition agroécologique ». Dans les 250 pages de leur rapport publié le 24 février, la Cour donne quitus aux agriculteurs qui « innovent en permanence ». Ainsi, 86 % des répondants ont déclaré avoir adopté au moins une innovation agricole dont plus de la moitié provenait de l’Agritech : agroéquipements connectés, variétés issues de la sélection génétique, applications numériques et outils d’aide à la décision, solutions de biocontrôle etc… Une majorité des agriculteurs « sont multi-innovants, moins en polyculture élevage mais en plus grande majorité dans les cultures spécialisées à forte valeur ajoutée (arboriculture, vigne, horticulture et maraîchage) », souligne même le rapport s’appuyant sur un sondage réalisé auprès 1 005 exploitants. Une majorité (60 %) d’entre eux estime que l’argent public devrait soutenir leurs exploitations pour les investissements réalisés.
MAEC : compliqué et sous-financé
Entre 2018-2023, environ 6,7 milliards d’euros (Md€) ont été engagés par l’État pour soutenir l’innovation en agriculture, indique le rapport. Cependant les magistrats constatent que les risques inhérents à l’innovation (sont) concentrés sur l’agriculteur. « La prise de risque est encore plus grande lorsque les systèmes innovants visent une performance écologique », précisent-ils, estimant que « seule une perspective pluriannuelle, qui intègre la variabilité propre au vivant, peut équilibrer le bilan coûts-avantages ». Autrement dit, les agriculteurs ne parviennent pas à valoriser financièrement ces innovations qui sont en plus « non matures ». La Cour est à deux doigts de dire qu’ils jouent les cobayes. A cela, elle ajoute que les agriculteurs pionniers sont moins soutenus que dans d’autres secteurs d’activité et qu’ils peinent à accéder aux aides publiques qui s’insèrent dans un dispositif complexe « d’appels à projets, de guichets et de conditions d’éligibilité disparates ». Les magistrats du compte pointent les imperfections : « Des freins (sont) à rechercher au niveau des filières plus que des exploitants », affirment-ils. Ils dénoncent aussi « Une politique fragilisée par son manque de cohérence interne », prenant l’exemple de la mécanisation et égratignant au passage « l’instrument des MAEC : un accès compliqué et sous-financé ». Même le système de formation qu’il soit initial ou continue n’est pas adapté aux besoins réels des agriculteurs.
Tenir son rang
Mais le tableau n’est pas si sombre, analyse la Cour des comptes qui formule sept recommandations (lire encadré). Dans son chapitre 3, elle rapporte que « d’importants financements ont été consentis par l’État pour aider l’Agritech française à rester une filière d’excellence (2,4 Md€). Ils sont en forte augmentation (+83 %) sur la période 2021-2023 ». Grâce à ces soutiens, dans un contexte de compétition internationale accrue du fait de la montée en puissance des pays émergents, « l’Agritech française parvient à tenir son rang ». De plus, « les solutions développées sont en phase avec les objectifs de la politique d’innovation agricole », indique le rapport. Mais les magistrats se désolent que « trop peu de nouvelles grandes entreprises émergent » et que « les délais dans le traitement des dossiers d’autorisation de mise sur le marché (pour les biosolutions par exemple, ndlr) restent trop élevés ».
Les 7 recommandations de Cour des comptes 1- Adapter le crédit impôt recherche, le crédit d’impôt innovation et le statut de jeune entreprise innovante aux spécificités du secteur agricole 2- Privilégier les mesures de type « système » sur le modèle des mesures agro-environnementales et climatiques en passant progressivement à une obligation de résultats 3- Cibler davantage les aides du programme national de développement agricole et rural sur les innovations transformantes, sur le conseil stratégique global et sur la formation continue 4- Définir les missions du réseau des chambres d’agriculture en matière de conseil à l’occasion du bilan du contrat d'objectifs et de performance 5- Augmenter significativement la participation des entreprises innovantes dans les unités et réseaux mixtes technologiques 6- Généraliser l’accès des entreprises innovantes à l’expérimentation agricole des trois réseaux agricoles – instituts techniques agricoles, chambres d’agriculture et Inrae - à travers le dispositif Link’Exp 7- Renforcer l’information et l’accompagnement des petites entreprises innovantes sur les procédures d’autorisation de mise sur le marché et réduire les délais. |
Moins de levées de fonds en 2024 Selon une étude du cabinet de conseil KPMG et de la Ferme digitale présentée le 24 février, les entreprises de l’Agritech et de la Foodtech n’ont levé en 2024 que 315 millions d’euros (M€), en baisse de 36 % par rapport à 2023. La baisse est encore plus spectaculaire en comparaison de 2022 : 672 M€. « La baisse touche particulièrement les start-ups de moins de cinq ans : leur volume d’investissements a chuté de 53 % », note le 3e baromètre KMPG. De même, après un pic en 2022 et 2023, les investissements en nutrition et protéines alternatives reculent, pour atterrir à 87 M€. A l’inverse, Les investissements en biosolutions connaissent une hausse importante, atteignant 94 M€. En 2024, la majeure partie des investissements sur l’Agritech et la Foodtech ont été réalisés en Ile-de-France (131 M€), devant la Nouvelle-Aquitaine (59 M€), le Centre-Val-de-Loire (57 M€) et l’Occitanie (41 M€). |
Aller plus loin : > Consulter la synthèse du rapport sur le site de la Cour des comptes (17 pages) |