Vous êtes ici

L’agriculture dans la campagne des européennes

François Purseigle, Nicole Ouvrard et Jéméry Decerle. Photo Actuagri
François Purseigle, Nicole Ouvrard et Jéméry Decerle. Photo Actuagri

Décrypter les programmes des candidats et aider à la décision au moment de mettre le bulletin de vote dans l’enveloppe le 9 juin… Tel était l’objectif du grand oral* auquel sept candidats des principales listes se sont pliés le 28 mai dernier à Sciences Po Paris. 

La chercheuse en économie à l’Inrae Montpellier a tout de suite planté le décor en rappelant les grands enjeux agricoles des prochaines élections européennes d’où sortiront une nouvelle configuration du Parlement européen mais aussi une nouvelle Commission. Parmi ces enjeux : le Green Deal et sa déclinaison agricole, le Farm to Fork (F2F), l’application de la nouvelle PAC qui accroît le risque de concurrence intra-européenne et qui, à travers une renationalisation par les Plans stratégiques nationaux (PSN) rend la politique agricole de moins en moins commune. D’autant que la donne a changé depuis l’écriture de ce F2F avec la crise Covid et les tensions internationales que sont notamment la guerre en Ukraine et la guerre entre Israël et le Hamas. Ce contexte incertain a également questionné les sept représentants des listes dépassant les 5 % d’intentions de vote aux européennes.

« Cela fera du bruit » 

C’est Olivier Cleland, agriculteur en Seine-Maritime et 56e sur la liste Reconquête conduite par Marion Maréchal qui a ouvert le bal des questions réponses auquel chaque représentant était soumis pendant une vingtaine de minutes. S’inquiétant de la multiplication des aléas climatiques et des baisses de productions françaises, il souhaiterait que les pouvoirs publics orientent la fiscalité sur les employeurs français pour qu’ils puissent moins recourir à la main d’œuvre étrangère : « On est le pays le plus taxé au monde, il faut revoir notre fiscalité pour proposer des salaires attrayants pour la main-d’œuvre locale et éviter que les travailleurs détachés ne viennent ici, et surtout y restent », a-t-il déclaré, souhaitant aussi « zéro droits de succession sur les transmissions d’exploitation ». 

Lui succédant à la tribune, Jérémy Decerle, agriculteur en Saône-et-Loire, député européen sortant, a fait amende honorable en reconnaissant quelques imperfections dans la conduite de son groupe parlementaire, ReNew, sur les sujets agricoles. Il a aussi mis en garde de ne pas rendre obligatoire en France ce qui reste « optionnel au sein de l’Union européenne », et plaidé pour un élargissement des loi Egalim françaises au plan européen. De même considère-t-il nécessaire que les textes venant de la Commission fassent systématiquement l’objet d’études d’impact « et que l’on écoute les responsables agricoles ». Interrogé sur la 14e place (il était 4e en 2019, ndlr), Jérémy Decerle a reconnu que la position n’était « pas très confortable. Je fais les frais d’une cuisine politique interne. Certains me sont passés devant. Si je suis élu, je me battrai avec les tripes pour défendre notre agriculture. Si je ne le suis pas, cela fera du bruit ».

« Dignité du métier » 

Troisième à passer au feu roulant des questions, Christophe Clergeau, en cinquième position sur la liste PS-Place Publique, a défendu, comme le candidat Les Ecologistes, Claude Gruffat, l’idée d’une politique agricole et alimentaire commune (PAAC), qui passerait notamment par l’obligation pour les collectivités de créer des Projets alimentaires territoriaux. Favorable à sortir l’agriculture des accords de libre-échange, il prône un commerce international équitable et plaide pour une multiplication par quatre du budget européen, notamment en taxer les super riches et les dividendes en Europe. C’est ce qui permettra « d’aider plus les agriculteurs à défendre leurs revenus et affronter les défis environnementaux ». Mais le budget de la PAC ne sera pas pour autant multiplié par quatre. « Mais il augmentera », a-t-il dit. Il ne fait aucun doute non plus pour Christophe Clergeau que l’actuel « PAC libérale est arrivée en fin de cycle et qu’elle est à refondre ».

Lui succédant à la tribune, Céline Imart, agricultrice dans le Tarn, entend « remettre l’agriculture européenne à l’endroit », notamment « en enlevant deux normes quand on en a créé une », en ajoutant un principe de « non-régression économique y compris quand il y a un objectif environnemental ». Très favorable à la libéralisation des NBT/NGT**, la deuxième sur la liste LR conduite par François-Xavier Bellamy, veut que l’Europe « mette les moyens pour soutenir l’innovation, les changements climatiques et rétablir une concurrence loyale dans les accords de libre-échange ». Elle souhaite aussi « travailler sur la viabilité et la dignité du métier (…) et reconnecter le terrain avec le politique pour redonner de la cohérence et de la crédibilité à la parole publique ». 

PAC concurrentielle 

Antépénultième orateur, Gilles Pennelle figure en quinzième position sur la liste de Jordan Bardella (Rassemblement national) et devrait remplacer Gilles Lebreton sur les questions agricoles. Comme Olivier Cleland, il a tenu un discours de « préférence nationale » en défendant en « priorité notre agriculture tricolore ». C’est ce qui explique pourquoi son parti a voté la PAC 2023-2027, parce qu’à travers le PSN, elle était en partie « renationalisée ». Mais il faut revoir cette PAC, a-t-il affirmé, plaidant pour une « réorientation des aides sur les investissements et les installations » et la « suppression de l’écoconditionnalité et donc des écorégimes ». Clairement « contre les prix planchers dans une économie ouverte », il souhaite comme Jérémy Decerle un Egalim européen « pour faire reculer le lobby des GMS ».

C’est à deux que les représentantes de La France insoumise (LFI) ont répondu aux questions du sociologue François Purseigle (AgroToulouse) et de Nicole Ouvrard (Réussir). A l’image du RN, Aurélie Trouvé et Marina Mesure sont favorables « à un moratoire des accords de libre-échange en cours de négociation et la sortie progressive des 70 déjà signés car ils favorisent le dumping social et environnemental ». Elles militent également pour une révision de la PAC, « devenue concurrentielle (…) car sa renationalisation a créé des distorsions de concurrence », pour une « aide à l’actif plutôt qu’au revenu, à l’hectare ou au prix » et pour un doublement des aides à la conversion du bio. Une position qui explique pourquoi, elles s’opposent farouchement aux NBT/NGT. 

Il est revenu à Claude Gruffat, 12e sur la liste Les Ecologistes, de clore ce grand oral. Favorable à une PAAC (lire supra), il s’oppose comme LFI aux accords de libre-échange. « La PAC nous a fait sortir de la souveraineté alimentaire à partir de 1992 », a-t-il déclaré. L’ancien président de Biocoop prône la « sortie des pesticides », demandant qu’on « appuie aujourd’hui sur le bouton ». Autrement dit, tous les moyens existent mais on ne les applique pas. Expliquant que l’agriculture est l’outil le plus efficace pour capter le CO2, il estime enfin que les « écolos sont les meilleurs alliés des agriculteurs ». Une sortie diversement appréciée au sein de l’auditoire… 

(*) Un évènement organisé à l’initiative de la FNSEA, des Jeunes Agriculteurs, des Chambres d’agriculture et de la Coopération agricole, en partenariat avec Réussir Agra, Sciences Po, CEVIPOF et INP-ENSAT. 

(**) New breeding Techniques et New genomic techniques que l’on peut traduire en français par Nouvelles techniques de sélection.