La Fédération nationale des Société d’aménagement foncier et établissement rural (FNSafer) a présenté, comme tous les ans à la même époque, un panorama des marchés fonciers ruraux. Ceux-ci se révèlent toujours disparates et fluctuant. Le marché de l'urbanisation des terres agricoles atteint un « plancher inédit ».
D’une manière générale les marchés fonciers ruraux qui comprennent le marché agricole, celui des forêts, des maisons de campagne etc., est « en berne », ont constaté Emmanuel Hyest, président de la FNSafer et Loïc Jégouzo responsable adjoint au service des études au ministère de l’Agriculture. Si le prix des terres agricoles a augmenté de +1,5 % pour atteindre en moyenne 6 200 euros/ha en 2023, les transactions (104 560 / -1,5 %) et les surfaces (454 900 ha / -5,3 %) ont marqué le pas après deux années de progression. En revanche la valeur globale des terres et prés libres poursuit son envol : 7,5 milliards d’euros (+4,9 %) par rapport à 2022. En nombre de transactions, les terres agricoles ne pèsent qu’à peine un tiers (32 %) du volume de transactions globales, et 20 % de valeur des transactions mais elles représentent presque les 2/3 (65 %) des surfaces totales. Le prix des biens loués ont progressé quant à eux de +1,4 % et se sont affichés en moyenne à 5 120 €/ha, « avec un rattrapage dans les zones de polyculture-élevage », a précisé Loïc Jégouzo.
Ventes exceptionnelles
En 2022, Le marché des vignes a été « à deux vitesses », a-t-il poursuivi en raison d’une production viticole inégale. Certains bassins comme ceux des vignes AOP (hors Champagne) ont progressé de +1,5 % affichant un prix moyen de 153 500 euros/ha. En revanche les vignes à eaux-de-vie ont vu leurs prix reculer de -6,4 %, à une moyenne de 56 600 €/ha. Il faut d’ailleurs « remonter à 2001 » pour constater une baisse dans ce secteur a indiqué le fonctionnaire du ministère de l’Agriculture. Il explique ce phénomène par la chute des exportations du Cognac en Chine et aux Etats-Unis et un volume de production inédit en 30 ans. C’est ce qui a d’ailleurs amené le Bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC) a abaissé le rendement autorisé et de n’autoriser que 100 ha pour 2024 de nouvelles plantations contre 3120 ha en 2023. Au total, l’année 2023 s’est soldé sur le marché de la vigne par 8 770 transactions (-7,6 %) et seulement 16 000 ha échangés (-12,8 %). Du fait de quelques ventes exceptionnelles, les transactions ont crû en valeur : 1,17 Md€, soit +15,8 % par rapport à 2022.
Urbanisation
Presque tous les feux sont au rouge pour le marché des forêts qui ont baissé dans tous les domaines, en nombre de transactions (-0,8 % / 21 670 transac.) en nombre d’ha (-8,5 % / 141 900 ha) et en valeur (-14,3 % / 1,98 Md€). L’un des rares points positifs est l’augmentation du prix moyen qui grimpe de +5,2 % et s’établit en moyenne à 4 750 €/ha. C’est la « troisième année de hausse consécutive », souligne le rapport de la FNSafer. Le marché des maisons à la campagne décroche assez fortement, revenant à son niveau de 2016, en raison de la hausse des taux d’intérêts et du durcissement des conditions d’accès au crédit. C’est la poursuite du rééquilibrage du marché après l’emballement post-Covid, remarque la FNSafer. Les transactions ont chuté à 90 750 (-24,2 %). Le volume (47 200 ha / -27,5 %) et la valeur (21,97 Md€ / -27,0 %) suivent la même tendance. Enfin, les terres agricoles ont vu 12 900 ha partir à l’urbanisation en 2023. « Le marché continue de ralentir fortement notamment en raison de l’application de la loi Climat et résilience de 2021 qui conduit à plus de sobriété foncière », a expliqué Loïc Jégouzo. Le phénomène devrait se poursuivre avec le vote, en juillet 2023, de la loi Zéro artificialisation nette (Loi ZAN), qui va commencer à produire ses effets.
Consommation masquée
Cependant, Emmanuel Hyest s’est inquiété du phénomène de « consommation masquée du foncier agricole. Un phénomène pernicieux » selon lui car ce sont entre 15 000 ha et 20 000 ha* qui sont détournés chaque année de leur vocation et de leur usage agricole. En fait, ces terres, souvent achetées par des particuliers sont utilisés majoritairement pour des loisirs, pour entreposer des matériaux, réaliser quelques aménagements parfois illicites. C’est un phénomène diffus affectant de petites parcelles. Mais le phénomène se développe d’années en années. Ce sont autant de terres qui ne sont pas exploitées par l’agriculture et qui deviennent par conséquent improductive, n’apportant aucune valeur ajoutée. « On diminue ainsi le capital agricole potentiel national », a estimé Emmanuel Hyest.
(*) Selon les chiffres du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA)
Le phénomène sociétaire toujours bien présentEn 2023, ce sont 8 280 déclarations relatives à une ou plusieurs opérations sociétaires qui ont été recensées pour une valeur d’1,853 Md€. Elles ont concerné 7 220 sociétés distinctes et les surfaces cumulées (comptabilisées une seule fois) ont atteint 923 300 ha, soit deux fois plus que le marché foncier agricole (470 900 ha), a insisté Emmanuel Hyest, président de la FNSafer. Après l’application de la Loi Sempastous, promulguée en décembre 2021, mise en place pour garantir la transparence et la régulation du marché sociétaire, les opérations sociétaires ont été soumises à déclaration auprès des Safer. L’année 2023 a marqué la première année du cadre exploratoire. Le démarrage a été assez lent sur les deux premiers mois (200 et 400 déclarations) avant de s’accélérer à partir de mars et avril et sur le dernier trimestre. Dans le système sociétaire, seules les parts sociales sont échangées. Environ un tiers des cessions s’effectuent en faveur d’un tiers. « Ce sont donc 300 000 ha qui changent de main hors du cadre familial », s’est inquiété Emmanuel Hyest « Si on veut installer, c’est sur le marché du transfert des sociétés qu’on doit aller regarder plutôt que sur le transfert de foncier en tant que tel », a-t-il affirmé. |