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Rencontre partenaires CAL : faire face aux mutations agricoles

«Nos adhérents sont en attente de meilleure rémunération et de moins de réglementation», indique Pierre-Yves Simonin. Photo : JL.Masson
«Nos adhérents sont en attente de meilleure rémunération et de moins de réglementation», indique Pierre-Yves Simonin. Photo : JL.Masson

François Purseigle, sociologue et intervenant incontournable dans le concert des acteurs autour de l’exploitation, voit émerger «l’assistant maître d’ouvrage» de l’observation fine du monde agricole . Il définit «trois grandes stratégies : l’association, l’insertion et la délégation, parfois au sein d’une même exploitation» qui sont autant d’interpellations pour la coopération agricole.

La tenue de l’assemblée générale de la Coopérative Agricole Lorraine, le 15  décembre au centre Prouvé, à Nancy, a débouché sur une “rencontre partenaires”. Au menu, une réflexion sur les mutations du modèle agricole et leurs implications pour les coopératives. Avec un conférencier qui observe finement ces évolutions françaises depuis plusieurs décennies, le sociologue François Purseigle.

Proximité, compétitivité, Sav

La Cal a fait réaliser par l’Ensaia une enquête sociétale des «familles d’agriculteurs» sur son territoire. Le président Pierre-Yves Simonin, en a synthétisé les grandes lignes. À 85 % implantées en Meurthe-et-Moselle et dans les Vosges, ces fermes, pour plus de la moitié, sont dotées d’un système de polyculture-élevage. Seules 20  % d’entre elles se classent en «céréalier pur». 47 % valorisent des surfaces entre 120 et 240 ha, le quart dépassent 240 ha et moins de 30 % demeurent en-dessous de 120 ha. Six exploitations sur dix produisent du lait, un gros tiers des surfaces sont des prairies permanentes et la tête d’assolement céréalière très majoritaire reste le blé. 43 % des adhérents se situent dans la tranche 40-55  ans et 18 %, entre 55 et 62 ans. Plus de quatre fermes sur dix fonctionnent en société et sept sur dix commercialisent leurs céréales par la coop. «Nos adhérents sont en attente de meilleure rémunération et de moins de réglementation», indique Pierre-Yves Simonin.

En jeu la réduction des intrants et la maîtrise des charges. Les principales demandes en direction de la coop : «un enjeu fort de proximité, la compétitivité, le service après-vente sur l’agroéquipement, la gestion du risque de la production, la problématique carbone avec la révision du poste fertilisation et le volet énergie», résume le président. Le constat local posé, François Purseigle livre le fruit de ses investigations. Professeur en sociologie à l’Institut polytechnique de Toulouse, il dirige le département sciences économiques, sociales et de gestion de l’École nationale supérieure agronomique de la ville rose. Auteur du livre “Une agriculture sans agriculteurs”, il en développe les grandes lignes. «Les agriculteurs sont de moins en moins nombreux, moins de 399.000 en 2020, soit 1,5 % de l’emploi total. Ils sont de plus en plus divers et leurs rôles sont disputés par d’autres catégories socioprofessionnelles».

Davantage de salariés

À l’horizon 2026, la moitié des exploitants auront atteint l’âge de la retraite. Sur les dix dernières années, le nombre d’actifs permanents familiaux a diminué de 55 %. C’est «la fin de l’agriculture conjugale» pour François Purseigle. Cela signifie davantage de salariés, en progression de 71 % dans les Eta, et de 213  % dans les groupements d’employeurs, entre 2003 et 2016. Ils n’étaient pas loin du million d’actifs en 2022. 13.000 installations sont concrétisées en France à l’année, dont seulement 4.800 aidées, pour 20.000 départs. «Il ne s’agit pas de dire qu’il faut installer… On n’y arrivera pas, tranche François Purseigle. La famille agricole française se révèle le principal obstacle à la transmission», ne craint-il pas d’affirmer.

La variable patrimoniale entraîne «des affaires de famille plus complexes». Projet agricole et gestion patrimoniale deviennent, parfois, antinomiques. L’enjeu est de bien connaître les exploitations qui vont se libérer, pour les faire reconnecter avec la demande ; remplacer les actifs en consolidant l’accès aux autres métiers agricoles. Les nouvelles générations construisent leurs projets ailleurs  ; elles aspirent au changement, en rejetant assignation et enfermement, analyse l’universitaire. Les pluriactifs ou multi-spécialisés qui montent en puissance rejettent la confusion entre les sphères familiales et professionnelles.

La conception nouvelle de la valeur distingue clairement entreprise, travail et produit. La chute vertigineuse de la courbe d’exploitations laitières fait s’interroger le chercheur sur la capacité à maintenir cette spéculation à terme, dans certaines régions.

Se positionner sur un marché émergent

Depuis le début du siècle, cinq types de mobilisation de la main d’œuvre ont été observés. Tandis que la délégation du travail progressait de 53 %, les exploitants associés augmentaient de 79  % et les salariés prépondérants gagnaient 23 % ; alors que les familles avec salariés perdaient 2 % et les familles ou exploitants seuls chutaient de 37 %.

François Purseigle voit émerger «l’assistant maître d’ouvrage (Amo)». Un nouvel acteur devenu incontournable, dans le concert des intervenants qui gravitent autour de l’exploitation. L’universitaire définit «trois grandes stratégies qui ne sont pas antinomiques : l’association, l’insertion et la délégation, parfois même au sein d’une même exploitation». Autant d’interpellations pour la coopérative, tant au niveau de la relation adhérents, de la gouvernance, que de l’offre de services, ainsi que de l’ancrage territorial. Elle même peut devenir un Amo, voire un maître d’œuvre «qui doit se positionner sur un marché émergent». Parmi la dizaine de compétences requises chez les nouveaux producteurs, le sociologue place en exergue «l’aptitude au travail en équipe, à la collaboration-association, à communiquer». Mais également «la maîtrise des outils et méthodes au service d’une rationalisation et d’une anticipation qui s’imposent».