Interview De Yohann Barbe, Président de la FNPL
Quel est l’état d’esprit des éleveurs laitiers en ce moment ?
Yohann Barbe : Ils sont légitimement inquiets. Nous le serions tous à moins. Les épizooties ne cessent de se multiplier, avec des fièvres catarrhales de différents sérotypes 3, 4 et 8 (FCO), avec la maladie hémorragique épizootique. Les laboratoires, les vétérinaires et les services du ministère de l’Agriculture ont déployé une vaste campagne de vaccination. Nous leur en savons gré. Il faut cependant regretter un certain manque d’anticipation qui est préjudiciable pour nos élevages. En effet, il faut compter environ six semaines avant que ce vaccin ne soit totalement efficace. Or certains éleveurs attendent toujours les vaccins. J’espère que nos gouvernants en tiendront compte à l’avenir et qu’ils donneront les moyens à la recherche de trouver un vaccin unique qui fonctionne pour tous les sérotypes de FCO.
Quels seraient les avantages d’un vaccin unique ?
Y.B. : Un seul vaccin au lieu de trois coûterait, je pense, moins cher. Il pourrait aussi limiter les effets secondaires comme les avortements spontanés, les pertes de poids, les moindres lactations. De plus, il limiterait la propagation de ces épizooties qui ont un réel impact sur la production. Chez nos voisins allemands, la production a chuté de 3 %. La moitié de cette baisse est attribuée à la seule FCO-3.
A ces maladies, s’ajoutent les conséquences d’une année particulièrement pluvieuse, avec des prairies parfois difficilement praticables…
Y.B. : Oui nos prairies ont souffert et les satellites n’ont rien vu ou plutôt, ils voient la pousse de l’herbe mais ni sa qualité ni sa capacité à la récolter. Comme nous l’avons dit récemment avec d’autres organisations d’éleveurs (FNO, FNB, FNEC), le dispositif actuel est inopérant sur la détection des pertes liées à ces évènements sur les prairies, et aucune solution n’est aujourd’hui proposée aux éleveurs ! Il faut que le Gouvernement donne un signal fort sur l’utilité des prairies. Certes elles permettent de stocker le carbone, de protéger la biodiversité. Mais ces prairies sont aussi des cultures à part entière et les pouvoirs publics devraient les reconnaître comme telles, au même titre que le blé, le maïs, la vigne, et d’autres productions végétales. Il faudrait d’ailleurs classer les prairies en fonction de leur localisation géographique. Certaines sont en zones intermédiaires, d’autres à proximité de cours d’eau et potentiellement inondables… Nos attentes sont fortes et nous espérons que le prochain ministre de l’Agriculture* se mettra rapidement à la tâche sur ce sujet.
Les négociations commerciales vont bientôt redémarrer. Comment les abordez-vous ?
Y.B. : Avec beaucoup de détermination. Notre objectif reste le même : construire le prix en marche avant sur la base du coût interprofessionnel de production. C’est pour nous le minimum et ce prix n’est pas négociable. Nous serons intransigeants sur le respect des lois Egalim. En zone de plaine le prix de revient est de 485 €/1 000 litres. En conventionnel de montagne, le prix de revient atteint 571 €/1 000 l. En bio de plaine, l’indicateur atteint 554 €/1 000 l, et en bio de montagne 682 €/1 000 l. Mais cet indicateur a un an de décalage avec la réalité car il s’appuie sur les comptabilités qui se clôturent entre mars et décembre 2023.
D’une manière plus globale, qu’attendez-vous des pouvoirs publics français et du nouveau commissaire européen à l’Agriculture ?
Y.B. : Le Gouvernement devra réactiver la loi d’orientation agricole en reprenant à son compte la Loi Entreprendre en agriculture présentée fin août par la FNSEA. Celle-ci contient un vrai volet économique qui permettrait à la France de donner une vision stratégique à notre agriculture et à nos élevages. En février dernier, après les manifestations qui avaient mobilisé des milliers d’agriculteurs, le Premier ministre Gabriel Attal avait annoncé un plan en 62 mesures. Elles doivent être intégrées au projet de loi qui sera présenté au Parlement. Il reviendra au Gouvernement de déclarer l’urgence sur ce texte fondateur. Concernant la Commission européenne, notre pays doit être moteur sur les nombreux dossiers qui inquiètent nos éleveurs : la directive IED (émission industrielles), le règlement Bien-être animal Transport, ou encore la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’Union européenne et la France doivent prendre conscience que l’agriculture est un secteur éminemment stratégique à qui l’on doit aussi donner une perspective, un cap clair. Tant la Russie que les Etats-Unis, la Chine, le Brésil ou encore l’Inde ont mis leur agriculture au sommet de leurs priorités. Ce sont nos concurrents directs. Sans perspectives, nous aurons du mal à conserver nos parts de marché à l’export. Il est temps d’agir pour assurer du revenu à nos éleveurs et encourager les jeunes générations à reprendre le flambeau. De nouvelles générations dans lesquelles les femmes ont toute leur place.
* A l’heure où cette interview a été réalisée, le gouvernement n’avait pas été nommé.