A la veille des élections européennes qui se dérouleront le dimanche 9 juin en France, le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau et celui de Jeunes Agriculteurs, Arnaud Gaillot, ont répondu à nos questions, en particulier sur leur vision de l’Europe agricole et sur leurs attentes du prochain scrutin.
Les élections européennes vont se dérouler le 9 juin. Quels sont les principaux enjeux de ces élections pour les agriculteurs ? La réforme de la PAC ? Les accords de libre-échange et les clauses miroirs ? le prix et le revenu ?
Arnaud Rousseau : Notre principal sujet, c’est de revoir le Green Deal et sa déclinaison agricole, le Farm to Fork, dont la version initiale date de 2018. Ce modèle qui fait la part belle à la décroissance, à la perte de production et de revenus n’est plus réaliste, surtout après l’épisode Covid et la guerre en Ukraine qui ont totalement rebattu les cartes géopolitiques et économiques. C’est sur l’agriculture et la politique agricole que l’Europe s’est en grande partie construite. Il faut donc revenir aux fondamentaux et reconstruire une politique agricole communautaire cohérente.
Arnaud Gaillot : Les manifestations agricoles que l’on a connues ces derniers mois tant en France que dans d’autres pays européens témoignent que la déclinaison de cette stratégie nous amène dans une impasse. Il faut réviser le Green Deal et Farm to Fork en mettant l’accent sur le renouvellement des générations. Car sans agriculteurs, l’Europe risque de perdre une partie de sa puissance économique.
Pensez-vous que l’agriculture européenne ait été supplantée, ces dernières années, par les enjeux écologiques ?
A.G. : Oui très clairement quand on lit attentivement le Green Deal. La Commission a imaginé que la baisse de la production agricole allait sauver l’écologie européenne, réduire l’empreinte carbone, les gaz à effet de serre… Le calcul s’est révélé faux et surtout néfaste à l’économie agricole puisque l’Europe s’est retrouvée à importer de plus en plus de produits agricoles et alimentaires non conformes à ses standards, car venant de l’autre bout de la planète et issus de la déforestation. On a voulu nous faire croire que la décroissance était la voie. C’est une erreur.
A.R. : La seule politique intégrée de l’Europe, c’est la politique agricole commune (PAC). Ce n’est pas la politique environnementale ou écologique commune. Au sein de la PAC, il existe un volet verdissement que nous utilisons. Il symbolise aussi le fait qu’il ne faut pas opposer agriculture et écologie. Ceux qui ont pu jouer sur cette opposition ont été sanctionnés et se sont attirés, ces derniers mois, la colère légitime et justifiée des agriculteurs français et européens.
Quel bilan tirez-vous de la dernière mandature, que ce soit du côté de la Commission européenne ou du Parlement européen ?
A.R. : La dernière mandature a permis de préserver le budget de la PAC. Grâce à notre action FNSEA et Jeunes Agriculteurs et celle du Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne (COPA), nous avons réussi à maintenir peu ou prou ce budget qui était promis à une baisse de 18 %. Nous avons bataillé ferme pour y parvenir. Mais je reste déçu de l’attitude parfois dogmatique de certains commissaires.
Sentez-vous que vos intérêts sont bien défendus à Bruxelles ?
A.G. : Pour ma part, j’estime que les équilibres n’ont pas toujours été en notre faveur. Mais la Commission a commencé à faire bouger les lignes ces derniers temps. Cela dit, le chantier agricole européen est encore important et nous allons être attentifs à la composition du prochain parlement européen qui va conditionner celle de la future Commission.
A.R. : Nous disposons de structures organisées comme le Conseil européen des jeunes agriculteurs (CEJA) et le COPA qui portent notre voix au sein des différentes instances : conseil des ministres européens de l’agriculture, Commission, Parlement… A titre personnel, je constate que la présidente de la Commission a délégué la gestion du Green Deal à son vice-président, Frans Timmermans qui l’a appliqué d’une façon particulière et parfois excessive. Ce qui a suscité la colère des agriculteurs et entraîné une volte-face de la Commission. J’en prends acte et me satisfait de voir l’agriculture revenir au centre des débats. Il faut maintenant redonner une vision à notre secteur d’activité.
L’Europe agricole est-elle suffisamment armée sur les marchés internationaux face aux compétiteurs étrangers que sont notamment les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde ou le Brésil ?
A.G. : Personnellement, je ne le pense pas. L’Europe a désarmé sur la politique agricole. Elle commence à se rendre compte de cette erreur. D’où l’inflexion que j’évoquais précédemment. Je suis en revanche convaincu que nous disposons d’un formidable potentiel de développement et de croissance. Si l’Union européenne veut peser face à ses compétiteurs, elle doit avoir une vision stratégique.
A.R. : Je partage cette analyse en ajoutant qu’il n’est pas trop tard pour rectifier le tir et réussir à retrouver des parts de marché que l’on n’aurait jamais dû perdre à l’international. Le défi n’est pas insurmontable avec un peu de bon sens et en prenant en compte que l’agriculture et la transition écologique sont compatibles. N’oublions pas que par définition, l’agriculture aménage la nature. Je rappelle simplement que les haies n’ont rien de naturel.
Selon vous, quels leviers l’Europe devrait-elle actionner ?
A.R. : Tout d’abord celui de l’harmonisation au sein même de l’Union européenne car la concurrence reste vive au sein de nos frontières. Le seul exemple du coût du travail suffit à comprendre le fossé qui sépare les Français des Espagnols ou des Roumains. Il faut également que l’Europe des 27 protège son agriculture. Aujourd’hui elle contrôle 3 % des denrées alimentaires qui rentrent sur son territoire. Redonner une ambition stratégique à l’agriculture européenne passe à mon sens par trois points : la compétitivité, le renouvellement des générations et le lien avec la société, notamment pour que le consommateur soit cohérent entre ses demandes et ses actes d’achat.
Que pensez-vous des programmes des différentes listes en présence ? Quelles sont les listes qui paraissent le mieux défendre vos intérêts ?
A.G. : Chez Jeunes Agriculteurs, nous sommes attachés à l’idée européenne et à ses bénéfices. Pour la première fois de notre histoire, nous vivons dans une organisation politique qui assure la paix en son sein et donc de croissance et de développement. Ceux qui pourraient prôner une Europe avec des pays repliés sur eux-mêmes sont dans l’erreur. L’Europe a besoin d’échanger. Le vrai sujet ne sont pas les accords de libre-échange mais celui de la réciprocité, des mesures-miroirs.
A.R. : Une chose est certaine : il ne faut pas vendre du rêve aux agriculteurs. Rester au sein de l’Europe, même si elle n’est pas parfaite, est un gage de sécurité. Il suffit de regarder de l’autre côté de la Manche pour constater combien et comment les agriculteurs ont été sacrifiés sur l’autel du Brexit. L’avenir de l’agriculture européenne passera, comme elle l’a toujours fait, par l’innovation, notamment par le numérique, la robotique et la génétique.
Plusieurs listes ont rétrogradé les agriculteurs sur leur liste, en risquant de les rendre inéligibles à l’exception de LR qui a placé Céline Imart en deuxième position ? Est-ce un signe pour vous ? Un commentaire ?
A.R. : Le signe d’une rétrogradation n’est jamais une bonne nouvelle. Car notre intérêt est d’avoir des agriculteurs qui s’engagent pour être des interlocuteurs crédibles face à des personnes parfois éloignées de réalités. Comme vous le savez, la FNSEA est un syndicat et par essence apolitique. Comme d’habitude, nous ne donnerons aucune consigne de vote.
A.G. : Je partage l’avis d’Arnaud Rousseau. A l’image de la FNSEA, nous ne donnons aucune consigne de vote. Chacun de nos adhérents choisira en son âme et conscience.
L’Europe parle d’élargir son espace et d’intégrer de nouveaux membres, notamment à l’Ukraine et aux Balkans. Quelle est votre position ?
A.R. : La vraie préoccupation pour le seul aspect agricole sera le financement de cet élargissement. Rien que l’Ukraine représente aujourd’hui un quart de la production européenne. Il faudra donc augmenter le budget de la PAC d’autant. Sur la période 2023-2027, le budget de la PAC est de 387 milliards d’euros. Il faudra en trouver presque 100 supplémentaires. Qui financera ? Mais la question de l’intégration de nouveaux membres dépasse le seul intérêt agricole : intégrer l’Union Européenne présuppose le respect de nombreuses règles communes. C’est pour cette raison qu’il s’agit d’un processus long et contraignant.
Comme le COPA, pensez-vous que la nomination d’un vice-président de la Commission chargé de l’Agriculture serait un signe fort ?
A.G. : Oui, ce serait un signe fort, surtout après le mandat très controversé de Frans Timmermans qui a voulu imposer une vision dogmatique du Green Deal et du Farm to Fork. Cette nomination, si elle se fait, devra s’accompagner d’un véritable plan stratégique pour l’agriculture européenne.
Il y a six ans, Jeunes Agriculteurs et FNSEA avaient publié ensemble un manifeste pour les élections européennes. Y en aura-t-il un cette année ?
A.R. : Jeunes Agriculteurs ont déjà publié leur manifeste à l’occasion du Salon International de l’Agriculture. La FNSEA sort aujourd’hui le sien qui a pour titre « Agriculture et Europe : retrouver le cap ! Nos propositions pour mettre la souveraineté agricole au cœur des politiques européennes ». Nous organisons le 28 mai, un grand oral avec les différentes têtes de listes qui voudront bien se plier à l’exercice, avec Jeunes Agriculteurs, bien sûr, mais aussi avec La Coopération Agricole et Chambres d’Agriculture France. A l’occasion de ce grand rendez-vous qui se tiendra à Sciences Po Paris, nous présenterons une étude exclusive sur l'Europe, la crise agricole et les agriculteurs, afin de bien cerner leurs préoccupations et attentes dans un moment important de la vie démocratique française et européenne.