Vous êtes ici

Avec l’affaire Lactalis, l’esprit «de filière» en a pris un coup

"La filière laitière française se trouve à la croisée des chemins". ©Photo DR
"La filière laitière française se trouve à la croisée des chemins". ©Photo DR

La fédération nationale des industries laitières (FNIL) se dit convaincue de la capacité de la filière française à maintenir ses positions à l’export. Une stratégie que ne semble pas partager Lactalis.

Lactalis n’avait manifestement pas prévenu la Fédération nationale des industries laitières (FNIL) - à laquelle l’entreprise adhère - de son intention de réduire drastiquement sa collecte laitière en France dans les prochaines années. La veille de cette annonce, le patron de la FNIL François-Xavier Huard se disait en effet convaincu, lors de la conférence de presse de rentrée de la fédération, de la capacité de la filière laitière française à jouer « collectivement » un rôle sur la scène internationale. Une ambition à laquelle Lactalis semble avoir apporté un certain démenti en annonçant son « recentrage » sur les produits de grande consommation français, et la réduction de la collecte du lait destiné « à être transformé en ingrédients industriels destinés aux marchés internationaux ».

Le 24 septembre dernier, le président de la FNIL déplorait pourtant que la croissance de la demande mondiale en produits laitiers (estimée à 1,5 à 2 % par an en volume d’ici 2030 par Rabobank) ne profitât essentiellement, selon les prévisions de la banque néerlandaise, « aux Etats-Unis, à la Chine et à l’Amérique du sud », tandis que l’Europe « perdrait 10 milliards de litres, anéantissant une grande partie des efforts de développement menés depuis quinze ans ». « Nous croyons qu’il n’y a pas de fatalité à cela mais un défi à relever collectivement », assurait François-Xavier Huard, plaidant notamment pour « la stabilité réglementaire », « des politiques ambitieuses à l’export » et « un engagement de l’ensemble de la filière (notamment la distribution, Ndlr) à soutenir la production laitière ». Le président de la FNIL considérait même l’amélioration de la situation économique des éleveurs comme « une opportunité » pour la filière pour relever ce défi. 

La valorisation du prix au détriment des volumes ? 

Interrogé vendredi 27 septembre sur l’annonce du géant laitier, François-Xavier Huard insiste sur le fait que la situation de Lactalis « est propre à la stratégie de l’entreprise et à son mix produit très ouvert à l’international ». Il confirme cependant que le sujet de la compétitivité de la filière française constitue plus que jamais un sujet de préoccupation pour les industries laitières françaises. « Avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement et d’une nouvelle Commission européenne, la filière laitière française se trouve à la croisée des chemins », estimait le dirigeant lors de sa conférence de presse. « Soit on maintient un écosystème laitier ouvert sur le monde, productif, compétitif et durable de l’amont à l’aval ; soit on fait le choix d’une économie administrée, surréglementée et coupée de la réalité des marchés, ce qui reviendrait à accélérer la déprise laitière et à transférer notre souveraineté alimentaire à d’autres ». 

Le patron de la FNIL assurait alors que les entreprises du secteur « penchaient naturellement vers la deuxième solution et souhaitaient s’engager pour créer collectivement de la valeur dans la filière ». Dans son communiqué, Lactalis justifie d’ailleurs son choix de baisse de la collecte par sa volonté d’assurer « une meilleure valorisation du prix de lait payé aux producteurs ». Les éleveurs concernés par le plan de Lactalis n’anticipaient sans doute pas que cette stratégie se déploierait à leurs dépens. 

 

La déflation alimentaire « n’est pas une option » 

Lors de sa conférence de rentrée, le patron de la FNIL s’est dit inquiet du retour « de la guerre des prix ». « Il est hors de question que l’on en revienne à la période de déflation alimentaire d’avant-Covid »,a-t-il prévenu. Le dirigeant s’est également indigné que la question des centrales d’achat européennes « ne soit pas réglée ». « Il est inadmissible que des acteurs continuent sciemment à contourner la loi Egalim et la préservation de la rémunération des agriculteurs au sein de centrales européennes », a-t-il dit. François-Xavier Huard s’est également inquiété des « dérives » de la Commission de règlements des différends commerciaux et agricoles (CRDCA), instance de recours en cas d’échec du médiateur des relations commerciales. Saisie de plusieurs litiges, elle interviendrait selon lui sur la nature des indicateurs, des couts de production, voire sur l’intégration de nouveaux indicateurs. « Elle dit le droit, quitte parfois à réécrire la loi à la place des parlementaires », a déploré François-Xavier Huard. « La capacité des acteurs, en particulier des organisations de producteurs (OP), à s’approprier les conditions de la négociation avec les laiteries doit être préservée, la loi leur en laissant la liberté », a-t-il martelé.