Vous êtes ici

Un contexte incertain pour la filière laitière bio

Thierry Mourot, président de la section biologique de la FDSEA 88 ©Marion Falibois
Thierry Mourot, président de la section biologique de la FDSEA 88 ©Marion Falibois

"Au niveau national, 1, 230 milliards de litres de lait ont été produits cette année par l’agriculture biologique. Cela représente 5,2% du lait collecté en France. Ce lait est fourni par 4200 producteurs biologiques français. Dans l’Est de la France nous avons plus d’exploitations biologiques par rapport au territoire national mais nous avons aussi plus d’élevages laitiers car nous sommes une terre d’élevage. Dans les Vosges nous sommes 110 producteurs de lait bio, ce qui représente 12% des producteurs laitiers du département. Un niveau plus élevé que les pourcentages nationaux puisque les producteurs laitiers bio ne constituent que 9% des producteurs laitiers français.

Aujourd’hui, le contexte est compliqué pour la filière. Le prix du lait bio a tendance à baisser, là où le prix du lait conventionnel, de son côté, augmente. Par exemple en 2021, le prix moyen des 1000L de lait bio s’élevait à 462 € et celui du lait conventionnel à 343 €. Sur la période de janvier à août de cette année, le prix moyen du lait bio a diminué pour attendre les 450 € les 1000L alors que le prix moyen du lait conventionnel augmentait jusqu’à 408 €. L’écart se rétrécit et les tendances s’inversent.  Il est important que le prix du conventionnel soit revalorisé mais, si dans un même temps, le lait bio continue de perdre sa valeur ajoutée, il est à craindre que certains exploitants ne veuillent plus se contraindre à respecter un cahier des charges de plus en plus exigent. Si la tendance ne s’inverse pas, des déconversions sont à craindre dans les années, voire les mois à venir.

Depuis juin 2021, les conversions en lait bio sont elles aussi à l’arrêt. Faute de visibilité et en attente des nouvelles règlementations sur la PAC 2023, les exploitants ne franchissent pas le pas. Entre 2019 et 2021, les laiteries étaient extrêmement demandeuses et encourageaient même certains de leurs producteurs à se convertir à l’agriculture biologique. Aujourd’hui, la grande majorité freine des quatre fers car cette année, la quantité de lait bio déclassée varie entre 30% et 50% selon laiteries. Sur les sept premiers mois de 2022, le département a rencontré une baisse de 10% de la production en raison de la sécheresse. Les Vosges ont aussi la particularité d’avoir une dizaine de producteurs de lait bio qui ne sont plus valorisés en bio et dont le lait est collecté et payé en conventionnel.

Bien qu’elles soient moins concernées en termes d’intrants, les exploitations biologiques sont elles aussi mises en difficulté par l’augmentation des charges notamment le GNR. Le coût des aliments a lui aussi explosé et aujourd’hui les tourteaux dépassent largement les 1000 € la tonne. A cela s’ajoutent les achats de fourrages engendrés par la sécheresse. Sur ce point, les trois ou quatre dernières années sont source de crainte, particulièrement pour les éleveurs en système herbager. Ces sécheresses, de plus en plus fréquentes, pénalisent fortement les bilans fourragers. A l’époque de nos parents, il était rare de devoir affourager en été mais, depuis 2018, nous nourrissons nos troupeaux presque dix mois sur douze. Comme le conventionnel, la bio est concernée par les conséquences de la pyramide des âges et la problématique du renouvellement des générations. Compte tenu du contexte incertain dans lequel se trouve la filière bio actuellement, il n’est pas certain que les exploitations soient reprises en bio à l’avenir.

La consommation en baisse est aussi source d’inquiétude pour les producteurs biologiques. Jusqu’à récemment, l’évolution du marché bio était toujours positive, or dès 2020-2021, elle connaît une baisse de -1,3% (hors RHD). Les produits laitiers sont parmi les produits alimentaires les plus concernés par la baisse de consommation. Les achats alimentaires sont sujets à l’arbitrage des ménages qui ont de plus en plus de difficultés à boucler leurs fins de mois. Malheureusement, comme souvent, l’alimentation est l’un des premiers budgets sur lesquels les consommateurs vont arbitrer. Comme tous les produits sous signe de qualité : label rouge, AOP, etc. les produits bio sont délaissés au profit de produits moins chers.

Dans un tel contexte les attentes de la filière biologique envers les pouvoirs publics et les consommateurs sont importantes. Avec la loi EGAlim, l’Etat s’est engagé à soutenir la filière, notamment en assurant un débouché à la production via la RHD. Nous, producteurs, comptons aussi sur les consommateurs pour que leur acte d’achat soit en accord avec leur volonté de mieux manger."

Thierry Mourot, président de la section biologique de la FDSEA 88